Ce qui est choquant dans le scandale des écoutes de nos présidents par la NSA, c’est ce qu’il dévoile de nos présupposés stratégiques et affectifs. Au cœur de l’émotion française, réelle ou affectée, il y a les idées bafouées de liberté, d’alliance et d’Occident, censées nous protéger des mauvais agissements de nos amis. Mais les États sont des « monstres froids » solidement dotés de moyens par les maîtres politiques qu’ils servent avec les ressources financières de citoyens mis à contribution fiscale. Les plus riches sont les plus puissants. Rien de nouveau. Ou plutôt si, la péremption de ce qui a fondé l’alliance atlantique, il y a plus de 60 ans, cette « communauté d’intérêts stratégiques des peuples de la liberté » face à un ennemi commun, le communisme soviétique.
Cette idée forte, aujourd’hui écornée, a rallié sous bannière américaine les peuples ouest-européens, ex-britanniques et même le peuple japonais, converti d’autorité au modèle. Une fois fermée la parenthèse singulière de la guerre froide, chaque pays allié a retrouvé les priorités de son histoire, de sa géographie et de sa culture stratégiques, si tant est qu’il les ait oubliées dans l’Otan. Or il va de soi que les intérêts, les valeurs et les priorités des pays d’Europe et d’Amérique sont loin de coïncider automatiquement. Tout au plus, l’expérience vécue pendant la guerre froide a-t-elle créé une connivence de méthode pour la gouvernance politico-militaire du monde qui se traduit dans l’exercice du conseil de sécurité de l’ONU, la pratique du G7 et l’usage de la guerre. C’est ce même constat qui a limité l’ambition de l’Europe sur la voie d’une « communauté d’intérêts et de destin » postulée mais jamais réalisée par l’Union européenne, alors que le passé tragique qui a ruiné les peuples européens et leur proximité géographique, économique et monétaire justifieraient une convergence politique. Un Sommet de l’UE devait même parler ces jours-ci de défense européenne, ce qui, on le sait, reste également un vœu pieux.
Ne nous trompons donc pas d’amis. Notre adhésion à cette réalité civilisationnelle que fut l’Occident est en question. L’Occident a produit l’État, aujourd’hui impuissant devant le mouvement du monde, la démocratie qui s’est dégradée à l’usage et le libéralisme économique qui s’est criminalisé. Ce n’est plus qu’une posture défensive qui nous subordonne faute de mieux au plus puissant occidental du moment. Si la NSA écoute nos présidents ne serait-ce pas pour notre bien, demandent déjà les réalistes ? Or le monde se recompose et prépare un rééquilibrage général à l’horizon de la transition démographique de la planète, en fin de siècle. L’Occident stratégique aura alors disparu. Revenons donc aux réalités d’une planète de bientôt 8 à 9 milliards d’habitants et cherchons à faire coïncider nos intérêts et à accorder nos postures d’abord avec nos proches, dans une formule géopolitique plus ample que l’Europe étriquée d’aujourd’hui, ce front oriental de l’Amérique du Nord.
À l’Occident rêvé qui autorise nos amis à nous contrôler, substituons la réalité géopolitique d’une vraie Europe « de l’Atlantique à l’Oural et du cap Nord au Sahel ». Travaillons en priorité à la coordination sécuritaire et à la convergence socioéconomique avec nos voisins directs, européens et maghrébins. Et valorisons notre capital océanique mondial par une forte ambition maritime, réservoir de croissance et de puissance. Alors nous aurons de vrais intérêts français à défendre contre les amis indiscrets et les parrains intempestifs.
JDOK